Signification sans signifiant ni signifié, l’intuition de Patrice Pouillard.

« J’ai suivi une intuition la première fois que j’ai mis le pied dedans. J’ai trouvé extraordinaire, je ne savais pas pourquoi.[Phase initiale] euh (…) maintenant je sais pourquoi, par ce que plus on avance plus on se rend compte à quel point [Appel] ces gens-là on atteint quelque chose qui parait simple en apparence et qui en réalité est extrêmement complexe autant dans la conception que dans la réalisation.[Pose A] Et c’est d’une certaine manière pour moi la définition de l’Art.[Conclusion Pose A] Tu vois, tu le regardes, et tu te dis (prout) mouais bon bah, après tout c’est des formes simples. Et puis en fait, quand tu te rends compte du process qui t’amène à ça.[Déclenchement] Et j’ai beaucoup-beaucoup d’admiration et de respect pour les gens qui ont fait ça.[Annulation déclenchement] Pour ceux qui se sont embarqués dans un tel défi et qui l’ont réussi haut la main,[Pose B] et je suis sûr que le but et ce pourquoi ça a été fait, c’est quelque chose qui pourrait nous être très-très utile.[Confirmation & Conclusion] Donc que voilà. [Phase initiale-finale]»

Patrice Pouillard sur ANews Workwell le5 Mai 2023.    

Signification sans signifiant ni signifié l’intuition de Patrice Pouillard.

168 mots 62 secondes. C’est avec précision et efficacité que Patrice Pouillard invité de la chaine ANews sur Youtube nous livre sa conclusion sur son prochain film Barabar.

A travers cette allocution le réalisateur de La Révélation des Pyramides, de Bâtisseurs de l’Ancien Monde (BAM) et prochainement de Barabar (noms des grottes situées dans la région du Bihar en Inde) nous donne des éléments précieux autour de son discours, de sa méthode et de sa vision du site.

Dans un discours cohérent il expose l’objet de sa quête qui présente une importance plus grande que son film. Ce dernier se posant en démonstration. Mais quelle(s) information(s) pouvons-nous tirer de ses dires ?

Nous poserons ici un raisonnement linguistique fondé sur le discours. Ce raisonnement permet de décoder et d’analyser le projet, la méthode et l’assertion de Patrice Pouillard dans ces propos. Cinq niveaux de lectures sont possibles. L’analyse globale, la trame narrative, le schéma constructif, l’impact démonstratif et le référentiel. Nous allons donc passer à l’étude strate par strate, chacun de ces niveaux.

L’Analyse globale, est une méthode de découpage standard pouvant s’appliquer à chacune des classifications des langues. Elle permet de séquencer par phases, les éléments principaux d’informations.[i]

L’analyse globale qui est purement quantitative, permet ici d’analyser l’articulation du discours de la conclusion de Patrice Pouillard :

  • L’Analyse Globale (Benveniste)

Phase Initiale 21 mots ; appel 18 mots ; Pose A 26 mots ; Conclusion Pose A 11 mots ; Déclenchement 34 mots ; Annulation déclenchement 15 mots ; Pose B 17 mots ; confirmation & conclusion 23 mots ; Phase initiale-finale 3 mots.

Elle est structurée en cinq phases principales et trois secondaires. On trouve à huit reprises les marques de la 1ère personne dont la moitié est présente dans la [phase initiale], 1 constructive en [Appel], 2 démonstratives en [Pose A] et [Déclenchement], 1 affirmative en [Confirmation & Conclusion]. 

Si on s’amusait à réduire à un niveau verbal (phonémique) selon les caractéristiques des langues isolantes, l’information qui est sortirait serait : Patrice Pouillard a marché pour voir[ii].

  • La trame narrative. (Chomsky)

La trame narrative est la structuration de la pensée du locuteur, d’après ses éléments de langage. C’est la Théorie maitresse de Noam Chomsky qu’il conceptualise dans Language and Mind.

Allons directement à l’information : c’est le point de vue d’un homme qui se compare aux autres en imposant son extraordinaire sur la banalité de ses contemporains.

Revenons maintenant aux étapes de développement. Au regard des différentes phases décrites par l’approche globale, la conclusion de Patrice Pouillard suit le schéma narratif du conte, où le réalisateur se pose en acteur et conteur. Le terme linguistique approprié est celui d’actant[iii]. Il ne fait que partager son intuition autour de son « je » qu’il oppose au « tu » son anti-être avant révélation. Patrice Pouillard nous raconte son histoire.

  • Le schéma constructif. (Benveniste + Chomsky)

Le schéma constructif reprend et affine l’analyse globale et la trame narrative. Il permet de voir les phénomènes d’agencement et de rejet des éléments du discours[iv]. Patrice Pouillard suit sa propre temporalité et son propre déplacement, c’est à travers une quête, tel un voyage mystique qu’il nous présente d’abord sa méthode, puis ensuite son film qui sera en son et image, le reflet de sa pensée.  Ce qui est appelé [Pose] et qui peut être rapproché à la « péripétie » dans le conte constitue l’être et non être de son raisonnement, un rejet de la réalité factuel qu’il détourne via son « image ».

Patrice Pouillard nous invite à le suivre et à l’écouter. Mais, sur quoi repose une invitation à la perception qui se fondent sur nos ressentis, nos illusions, nos rêves et nos espérances ? Sur rien.

Pas exactement, car ce « rien » imprégné de l’Inde de Barabar, n’est pas le « rien de l’Occident ». Sur place Patrice Pouillard a dû être en contact avec des éléments de l’esprit Shoony[v] qui entend que le sens d’une quête c’est le vide de l’extraordinaire. En sanskrit : खोज का अर्थ असाधारण की शून्यता है. Khoj ka arth asaadhaaran kee shoonyata hai.

Le démontrera-t-il dans son film, c’est que nous verrons.

  • L’impact démonstratif. (Jakobson)

L’impact démonstratif, que nous aurons pu appeler également code. Il s’agit du code appartenant au schéma du discours de Jakobson.

« Simple en apparence et qui en réalité est extrêmement complexe ».  Cette observation de Patrice Pouillard est très intéressante car elle souligne le terme de « contradiction ». Je l’encourage à travailler sur le mot « contradiction » sur l’ensemble des langues des civilisations de son équateur penché.

Information : Pour Patrice Pouillard, la simplicité appartient au commun je vous propose d’en sortir.

  • Le référentiel. (Jakobson)

Le référentiel[vi], que l’on peut également nommer « l’appel au sens », indique la démarche de Patrice Pouillard. En complément de l’impact démonstratif (code) le référentiel (référent) impose le signifié de l’émetteur.

Ici les 5 sens, sont : l’intuition, le voir, le regarder, le comprendre, le suivre.

Va-t-il ajouter de l’esprit Shoony ?

Notre position de linguiste, invite Patrice Pouillard, à nous expliquer comment il peut monter un film où lui seul détient des éléments uniquement visuels et sonores avec un corpus de recherche, incluant uniquement le rien, le vide et le mystère. Bref la signification sans signifiant ni signifié.

D’autant plus que cette conclusion généraliste peut s’appliquer à l’ensemble de ses projets passés et futurs. Validant ainsi que Barabar ouvrira les portes sur l’humanité.

Point Bonus : Le concept de l’image acoustique. (Saussure)

Patrice Pouillard se targue d’avoir une approche scientifique, parlant de l’analyse acoustique du site, il considère sa méthode comme un voyage autour du seul signe à sa disposition, les grottes de Barabar. A 39:50 dixit le réalisateur : « un voyage de laboratoire […] en acoustique […]où on a passé des jours à enregistrer des choses, à faire des tests ; des choses qui, des tests. »

Double point de vue et de discours forts intéressants car il nous permet d’introduire la notion de nature du signe, élément majeur de la théorie Saussurienne[vii] du signifiant et signifié. Le signe qui n’est qu’au départ qu’un objet de démonstration ici les grottes de Barabar se pose en image acoustique.

Saussure précise que le son n’est pas uniquement matériel, et ne doit pas être limité à une chose purement physique.  Il est également une empreinte psychique, une représentation qui nous est donné par le témoignage de nos sens.

Précisons, qu’il ne faut pas entendre ici aucune approche new-âge avec les termes précédemment cités. Le concept de l’image acoustique se fonde sur une articulation entre la phonétique (science du son matériel) et la phonologie (science de l’image acoustique).

Pour Saussure le signe et la réalité sont sur deux ordres distincts. Le concept et l’image acoustique sont perçus comme deux entités. C’est une entité complexe à la fois simple et double car c’est un tout en deux en un. Patrice Pouillard joue inconsciemment de cette approche car il veut tenter de prouver par l’analyse de manière séquencée un élément acoustique qui n’existe que par l’action d’un phénomène entrant au sein de son milieu : bref l’écho dans une grotte.

Hors Patrice Pouillard se démarque totalement de ce qu’il présente. Par sa démarche et les analyses en laboratoires qu’il mène, Patrice Pouillard se positionne totalement et sur différents niveaux dans l’image acoustique.  Premièrement pour son activité de réalisateur ; il manie et nous présente avec brio le son et l’image.  Ce sera hélas l’unique point positif, car deuxièmement en se limitant uniquement à la forme et au fond professionnel qui est le sien Patrice Pouillard, demeure comme il le dit lui-même un magicien.

Conclusion : les 200 mots.

Concluons maintenant cette petite analyse Benveno-Jakobso-Chomsko-Saussurienne.

En nous fondant uniquement sur le discours ; nous avons appliqué de manière schématique les théories mettant en avant l’orientation, la construction, le mode de pensée et la mise en image du discours toujours en suivant l’axe signifiant-signifié.

La trame narrative du conte ayant 5 étapes, et Patrice Pouillard s’appuyant sur ses 5 sens, nous avons trouvé sympa d’établir sur 5 niveaux de lecture, l’analyse du projet-fable du Monsieur.

Nous finirons nous aussi par un « donc que voilà » en reprenant tel une épanadiplose (on reprend à la fin l’élément initial) les 168 mots.

Faisant référence à la convention des 200 mots, pris à partir de l’abstract standard d’une publication scientifique, elle sert à délimiter une construction narrato-cognitive d’un sujet. C’est dans ce cadre limité, que doit apparaître, les phases de constructions du discours, le niveau de vocabulaire de la personne, son positionnement par rapport à un groupe humain, le sens et le but de l’énoncé.

Il a été convenu qu’une personne dépassant les 200 mots à hauteur de 1 à 20%, max avec un discours hautement cohérent construits avec beaucoup d’éléments en accord avec son niveau de langage, apporte des unités linguistiques jugées claires.  (Sachant qu’on cherche la cohérence mais jamais le vrai ou la vérité). Le sens = l’information. Et sont étudiés de manière paritaire.

 Une personne étant dans une fourchette de 5 à 20% en dessous des 200 mots, protège les éléments de son discours. Elle est dans l’histoire et non pas le récit.  L’information est supérieure au sens.

Au-delà des -20% ou des plus 20% des 200 mots, le sujet affabule. Invente, cache, déforme de l’information. Sa structure de construction à l’oral est le plus souvent anarchique et/ou volubile. 

Patrice Pouillard est à -16%

Donc que voilà, recherche et faits.


[i] L’Analyse globale : est l’un des éléments constituant la théorie de la Signifiance d’Emile Benveniste. Benveniste en définit deux, la signifiance sémiotique et la signifiance du discours. Ici nous utilisons que la signifiance du discours qui est liée directement à son exercice. Le discours est lié à la subjectivité humaine par l’appropriation du locuteur. Benveneniste Problèmes de linguistique générale 1, Gallimard, 1966.

[ii] La réduction phonémique, est une modélisation à minima de la réalisation du discours. Reprenant le caractère des langues isolantes où chaque phonème est porteur de sens et représente un mot, il est mention ici de réaliser dans une phrase courte les éléments marqueurs et déterminant du discours dans un style presque télégraphique. A Programmed Intoduction to Linguistics : Phonetic and Phonemics.

[iii] Actant : Dans l’analyse structurale du récit, l’actant est le protagoniste de l’action, distinct du bénéficiaire, au bénéfice de qui se fait l’action. L’actant et le bénéficiaire peuvent se confondre dans la même personne.  Dictionnaire de Linguistique, Larousse, p.14.

[iv] Ce qui est une application stricte du schéma du discours de Jakobson.

[v] Shoony : शून्य élément central du shoonyavada, la doctrine de la non-existence. Cambridge Sanskrit English Dictionary.

[vi] Le référentiel, il s’agit du référent appartenant au schéma du discours de Jakobson.  Code et référent sont les deux clés du discours qui touchent la compréhension et la représentation du destinataire.

[vii] Ferdinand de Saussure : (1857-1913) linguiste suisse, précurseur de la linguistique générale. 

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