Gims, de son nom de scène, a présenté dans une longue vidéo de plus d’une heure trente, une minute et demie dans laquelle il déploie un discours très étonnant sur des faits historiques [1]. Cette vidéo, sur la chaine Oui Hustle, est essentiellement consacrée à la carrière de Gims et son avis sur des choses très différentes, notamment la “géopolitique” de l’Afrique.
C’est à ce titre qu’il déploie une série d’affirmations saugrenues, sur l’histoire ancienne de l’Afrique dans lequel il affirme l’état très avancé du continent bien avant l’Europe [2]. Gims ne source aucune de ses affirmations : il les lance comme des évidences et le présentateur devant lui ne présente aucune objection.
Nous allons essayer de voir en quoi ces affirmations sont fantaisistes, et quelle idéologie les sous-tend.
Des affirmations fantaisistes ?
La première affirmation qui lance sa diatribe, c’est que “L’Afrique, c’est Wakanda” [3]. Le Wakanda est une invention de l’éditeur américain Marvels et apparait pour la première fois en 1966, sous la plume de Stan Lee et Jack Kirby [4]. Il décrit un royaume africain fantastique, qui a été épargné par la colonisation grâce à son stock de “vibranium” et sa haute technologie. En associant le terme de Wakanda à l’Afrique de l’Antiquité, le rappeur indique que ce continent est plus avancé que l’Europe.
Il ajoute que les Africains, qu’il appelle les Afroeuropéens, occupaient l’Europe il y a 50.000 ans avant d’être décimés par les Européens venus d’Asie, les Yamnayas. On ne sait pas d’où vient cette date de 50.000 ans. Quant au terme de Yamnaya, il désigne un groupe culturel indo-européen, qui apparait au sud de l’Oural au bronze ancien, vers 3500 avant l’ère commune [5].
Des récentes études paléogénétiques et de paléogénomique montrent qu’en effet, des populations issues des steppes pontiques, pouvant être associées à la culture de Yamnaya, ont migré vers l’Europe. Au niveau de la culture matérielle et des pratiques funéraires Yamnaya, notamment les tombes dites kourganes, de nombreux sites ont été mis au jour en Roumanie, Bulgarie, Hongrie et Serbie [6].
La découverte de deux tombes en Voïvodine (Serbie), fouillées entre 2015 et 2018, constituent pour le moment les sites les plus occidentaux mis au jour pour cette culture. Contrairement à ce qu’affirme le rappeur, ces derniers n’ont pas décimé les populations locales, les données archéologiques et génétiques tendent au contraire à montrer qu’il y a eu métissage et acculturation progressive.
De plus, les datations ne correspondent pas aux assertions de Gims puisque les sites européens associés à la culture Yamnaya datent d’il y a environ 5.000 ans, et non 50.000 ans. Il est très clair que le rappeur a ici utilisé comme source de ses propos les nombreux articles de vulgarisation publiés ces deux dernières années, notamment ceux concernant les résultats du projet Ancestra, résultats qu’il n’a malheureusement pas compris et déformé [7].
L’afrocentrisme
Le terme même d’afroeuropéen est un néologisme qui a été créé pour parler de personnes d’origines africaines nées en Europe [8]. Cette construction sous-entend que les Européens ont toujours été des colonisateurs. Aucune trace archéologique ne montre un quelconque avancement de l’Afrique sur l’Europe ou inversement à cette époque. Les sociétés du paléolithique supérieur sur ces deux continents utilisent des outils très similaires [9].
Et surtout pas à la date totalement fantaisiste avancée par Gims. Cet imaginaire est renforcé par une série d’affirmations concernant les pyramides d’Égypte : “à l’époque de l’Empire de Koush, il y avait l’électricité” [10]. L’empire de Koush désigne pour les Égyptiens de la période pharaonique le Soudan, c’est-à-dire le territoire situé dans la région de Khartoum, à la confluence entre le Nil Bleu et le Nil Blanc [11]. Il affirme ainsi que les pyramides de Gizeh, qui étaient surmontées d’or, étaient des antennes électriques [12]. Gims confond donc la Nubie et l’Égypte pharaonique, comme si les deux entités politiques étaient similaires. “Les Égyptiens, la science qu’ils avaient, ça dépasse l’entendement”, ajoute-t-il [13].
On est ici dans une construction qui mélange afrocentrisme et pseudo-archéologie. Plusieurs auteurs, dont Antoine Bovis ou Christopher Dunn, rejettent l’idée que les pyramides soient des tombes égyptiennes et estiment que ce sont des “machines” ou que des techniques très avancées ont été utilisées [14].
Ces hypothèses ne reposent sur rien, et aucune source d’énergie ou aucun moyen pour transporter cette énergie n’a jamais été mis au jour autour des pyramides. De plus, selon Gims, “tout l’oseille de l’Europe vient de l’Afrique depuis Hernan Cortez” [15]. De même, il estime que c’est à cause du Congo que la Seconde guerre mondiale s’est déclenchée, une vision totalement erronée [16].
Gims est complotiste
Gims ajoute une affirmation péremptoire : “les historiens le savent” [17]. Il sous-entend par là qu’ils cachent au monde cette réalité. Il y a donc un complot des historiens, contre la vraie histoire de l’Afrique. Et, selon le rappeur, pour lutter contre ce “complot”, il faut connaitre notre histoire. Mais, justement, Gims ne connait pas l’histoire et invente des faits. Ces idées viennent de l’afrocentrisme. Par afrocentrisme, nous entendons un mouvement intellectuel et idéologique qui cherche à placer l’Afrique au centre de l’Histoire, car elle serait l’unique foyer de rayonnement civilisationnel [18]. Ce mouvement a notamment pour objectif de contrer un européocentrisme réel ou supposé [19].
Le rappeur reprend à son compte cette idéologie, notamment en affirmant que la chevalerie, une organisation sociale de l’Europe médiévale, seraient déjà présente en Afrique vers 50.000 de notre ère [20]. L’afrocentrisme se fonde autour d’auteurs comme le sénégalais Cheikh Ante Diop, le guyanais Ivan Van Sertima ou l’américain Molefi Asante [21]. Nous ne sommes pas certains que Gims a lu les ouvrages de ces auteurs, qu’il ne cite pas dans cette interview, mais il en emploie les fondements.
L’afrocentrisme est une idéologie. Elle sert un discours politique, utilisée largement dans certains groupes. Elle s’appuie surtout sur la construction d’une fausse histoire, faite d’inventions, d’approximations et de mensonges. En une minute, Gims a professé ces mensonges et a donc servi une idéologie, dont le fondement, comme le souligne James Schlessinger, est suprématiste et raciste [22]. Gims, en promouvant des assertions fausses fait le lit d’infox qui sous-tendent une idéologie racialiste et suprématiste. En mentant sur l’Histoire, il invente une croyance idéologisée.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM, consulté le 13 avril 2023.
[2] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM&t=1434s, 01 :30 :00 et suivant, consulté le 12 avril 2023.
[3] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM, 01 :30 :21, consulté le 13 avril 2023.
[4] Gerry CANAVAN, “Wakanda Forever ? On Ryan’s Cooger Black Panther (2018)”, in Terence MCSZEENEY et Stuart JOY, Contemporary American Science Fiction Films, Londres, Routledge, 2022, page 211.
[5] Ludmila KORYAKOVA et Andrej Vladirimovitch EPIMAKHOV, The Urals and Western Siberia in the Bronze and Iron ages, Cambridge, CUP, 2007, page 52.
[6] Samantha BRUNEL et al. “Ancient Genome from present day France unveil 7;000 years of its demographic history’, in Proceedings of National Academy of Sciences, vol 117, n°23, 2020, pages 12791 à 12798.
[7] Merci à Émilie BRIAND pour sa relecture attentive et articles qu’elle nous a fourni.
[8] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/02/14/les-afropeens-se-re-presentent-au-carreau-dutemple_4576610_3212.html, consulté le 14 avril 2023.
[9] Peter BREUNIG, “Holocene Prehistory of West Africa”, in Colin RENFREW et Paul BAHN (edit), The Cambridge World History, pages 165 à 182 ; Joao ZHILAO, “The Upper Paleolithic in Europe”, in Colin RENFREW et Paul BAHN (edit), The Cambridge World History, pages 1753 à 1785.
[10] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM, 01 :30 :26, consulté le 13 avril 2023.
[11] Derek Anthony WELSBY, “Settlements of the Early Kushite Period”, in Dietrich RAUE (edit), Handbook of Ancient Nubia, Berlin, 2019, page 591 Olivier CABON et al., Histoite et civilisations du Soudan, Paris, Soleb, 2017.
[12] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM&t=1434s, 01 :30 :00 et suivant, consulté le 12 avril 2023.
[13] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM, 01 :30 ;41, consulté le 13 avril 2023.
[14] Christopher DUNN, Technologies of the Ancient Pharaos, Rochester, Bear and Compagny, 2010 notamment où il explique les technologie avancée employée en Égypte ancienne.
[15] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM&t=1434s, 01 :23 :04, consulté le 12 avril 2023.
[16] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM&t=1434s, 01 :28 :00, consulté le 12 avril 2023.
[17] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM, 01 :30 :45, consulté le 13 avril 2023.
[18] François-Xavier FAUVELLE-AYMAR, “Naissance d’une Nation Noire. Multimédia, mondialisation et nouvelles solidarités”, in L’Homme. Revue française d’Anthrologie, n°161, 2002, page 75 ; Molefi ASANTE, “Afrocentricity”, in Reiland RABAKA, The Routeldge Handbook of Pan-africanism, Londres, Routledge, 2020, page 148 ; Alain FROMENT, “Race et Hisfoire : la recomposition idéologique des égyptiens anciens”, in Journal des Africanistes, tome 64, fascicule 1, 1994, page 57.
[19] François-Xavier FAUVELLE-AYMAR, “Naissance d’une Nation Noire. Multimédia, mondialisation et nouvelles solidarités”, op. cité, page 75.
[20] https://www.youtube.com/watch?v=dbwgHM7ykzM&t=1434s, 01 :31 :09, consulté le 14 avril 2023.
[21] François-Xavier FAUVELLE-AYMAR, “Naissance d’une Nation Noire. Multimédia, mondialisation et nouvelles solidarités”, op. cité, page 75.
[22] Alain FROMENT, “Race et Hisfoire : la recomposition idéologique des égyptiens anciens”, page 57, note 19.